Igloo 2013 : Au pont de Pope Lick

vendredi 22 février, au cours de la soirée
  

AU PONT DE POPE LICK 

incursion poétique

crédits photos : Audrey Liebot, d’après Nan Goldin, Empty Bed in Locked Ward, 2004.

d'après Naomi Wallace
conception Audrey Liebot
collaboration artistique Moreau
avec Audrey Liebot et Fanny Gayard
durée 15 min

DALTON. Qu’est-ce que tu veux de moi ?

PACE. Je veux que tu me dises que je suis là.

DALTON. Tu es là. Tu n’as pas besoin que je te le dise.

PACE. Si, jai besoin. Alors observe-moi. Dans tout ce que je fais. Regarde bien. Prends des notes. Parce qu’un jour je vais revenir pour découvrir qui j’étais - et alors tu devras me le dire.

DALTON. Je. Ne. Merde. Je ne sais pas ce que tu veux dire (...). Chaque fois qu’on se voit, après, c’est comme si des morceaux de moi. N’arrêtaient pas de tomber. Ca ne devrait pas être comme ça, Pace. Il faut que ça devienne plus clair. Que ça veuille dire quelque chose. Je passe mon temps à attendre. Je ne peux plus.



Dalton et Pace ont quinze et dix-sept ans. Ils vivent dans les années 30, dans une petite ville sidérurgique du Kentucky touchée de plein fouet par la crise. Leurs parents sont étrangement absents, comme étrangers dans leur propre existence, exceptée Gin, la mère de Dalton, qui engage une lutte intime contre la fatalité et l’abandon. La plaine asséchée, les licenciements, la fermeture d’usines centenaires... Les pères restent à la maison dans le noir ; des ombres se dessinent sur les murs... Un pont, une légende monstrueuse, et le train - la modernité - pour horizon. Pace Creagan veut faire la course contre le train.

Le soulèvement auquel on assiste a l’âpreté de l’adolescence. Ce que Dalton et Pace connaissent
du monde - inquiétude, ennui, désir d’un ailleurs qu’ils n’osent imaginer - est renversé. Le soulèvement est, au commencement, devant eux, entre eux, en eux-mêmes.


Ce qui circule dans Au pont de Pope Lick comme un sang, une eau - le désir, la jeunesse primale, un cri d’urgence - ne me laisse pas tranquille. Naomi Wallace a écrit une petite bombe. Elle dépeint un monde en train de se défaire. L’horizon s’ouvre... La pièce se déploie entre précision du langage, alternance et variations des images, et une plage temporelle indéfinie qui troublent notre perception. J’ai besoin de l’entailler, trouver son silence : son bruit, la voix, le noir, les corps, trouver Pace et Dalton seuls, comme sans le monde, avec leurs images, et faire un peu de leur monde à eux. Entrer dedans. Embrasser. Toucher.

Cette « incursion poétique » présentée dans le cadre des Journées Igloo 2013 est comme l’avant- première d’une version courte de la pièce qui je créerai à Nanterre en juin 2013. Elle fait suite au court-métrage que j’ai réalisé, intitulé Pace Creagan, finalisé en août dernier, et qui correspond à une première étape de mon travail. Ce film est une entrée au cœur du texte à travers le personnage de Pace, la jeune protagoniste dont j’ai voulu retracer un morceau de vie, librement inspiré de plusieurs moments de la pièce de Naomi Wallace.

Aujourd’hui, les enjeux du texte se dessinent, au plateau, à travers l’image et l’écriture sonore que je prête à cette histoire, et ce qui représente pour moi l’aventure sensuelle de Pace et Dalton, l’essence de Au pont de Pope Lick.


Naomi Wallace est américaine, elle est née en 1960 dans le Kentucky. Dramaturge, scénariste et poétesse, elle s’est d’abord fait connaître aux Etats-Unis et en Europe par la publication de ses poèmes. Son activité est prolixe ; elle travaille aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Plusieurs de ses scénarios et pièces de théâtre ont remportés de nombreuses distinctions : le film Law Dogs remporte en 1997 le prix du meilleur scénario au Sitges Festival, One Flee Spare (Une puce, épargnez-la) remporte un Obie Award à New York, In The Heart of America (Au coeur de l’Amérique) est créée à Londres en 1994 ; les deux pièces ont reçu le Susan Smith Blackburn Prize. Une puce, épargnez-la est entrée au répertoire de la Comédie Française en 2012, dans une mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

The Trestle at Pope Lick Creek (Au pont de Pope Lick) a été créée en 1998 au Humana Festival de Louisville.

Les oeuvres de Naomi Wallace se distinguent par la précision ténue accordée au langage, dans une structure dramaturgique classique renversée par le soulèvement progressif des codes à l’intérieur même de cette structure. Les personnages choisis par Naomi Wallace sont en proie à des prises de décision, des découvertes et des rencontres fondamentales qui les remettent profondément en question. Naomi Wallace interroge par-là nos valeurs et nos codes moraux et sociaux. L’intensité à laquelle elle parvient participe de ce renversement. La délicatesse et la ténacité de sa langue font de ses pièces des détonateurs sensibles puissants.

Ses textes sont publiés en France par les éditons théâtrales.

Au Pont de Pope Lick est un texte traduit par Dominique Hollier et publié aux éditions théâtrales.
http://www.editionstheatrales.fr


Audrey Liebot est née à Nantes, où elle a suivi les cours d’art dramatique du Conservatoire national de région, en parralèle des ses études littéraires. A Paris, elle entre dans la classe de Laura Benson et Jérôme Mêla à l’Atelier International de Théâtre, et collabore, en tant que chargée de  communication et dramaturge, avec les éditions Théâtrales où elle découvre l’écriture et les textes de Naomi Wallace. Elle intègre la promotion 2011-2013 du Master professionnel de mise en scène et dramaturgie de l’Université de Nanterre où elle fait la rencontre de Fanny Gayard. Elle assiste actuellement Florent Trochel (Hana San Studio) sur la création de Montagne 42 (co-produite par M.A. scène nationale de Montbéliard et Hana San Studio), et mène plusieurs projets et collaborations artistiques, dont la création de Au pont de Pope Lick et la réalisation d’un court-métrage.


crédits photos : Denis Mareau